La victoire de Trump est celle de l'Amérique qui se
ferme
L’élection de Donald Trump à la présidence
des États-Unis constitue un événement révolutionnaire. Elle va
approfondir et accélérer le déclin des États-Unis dans le monde. Et
accentuer encore le risque populiste.
Ce
n'est pas la fin du monde, mais c'est la fin d'un monde. Celui où
l'Amérique pour le meilleur ou pour le pire s'intéressait aux "Autres"
autant qu'à elle-même. La date du tsunami politique que nous venons de
vivre n'est pas neutre. Le 9 novembre 1989 le Mur de Berlin
s'effondrait. "Slava" Rostropovitch célébrait le triomphe de la liberté
en jouant Bach devant le symbole d'une oppression défaite.
Vingt
sept ans plus tard, le 9 novembre 2016, Donald Trump, sort
triomphalement vainqueur de l'élection présidentielle américaine .
L'Amérique vient de choisir, démocratiquement, d'ériger un mur de
colère, de soupçon et de rejet autour d'elle-même. L'Amérique qui se
ferme l'emporte sur l'Amérique ouverte.
Spontanément, devant la
succession de ces deux dates, les lignes écrites par Charles Dickens
dans son livre "A tale of two cities" me viennent à l'esprit : "It was
the best of times, it was the worst of times", écrivait-il.
Ce qui
vient de se passer est tout simplement, révolutionnaire. Jamais en 240
ans d'histoire politique américaine, un homme aussi "différent", n'a
accédé, sans la moindre expérience politique, à la Maison Blanche, et
jamais un homme doté d'une confiance aussi absolue en lui-même n'a eu
accès à l'arme absolue, l'arme nucléaire.Le monde américain qui vient de
s'effondrer est celui que j'avais découvert et aimé à l'Université
d'Harvard au tout début des années 1970. Stanley Hoffmann y enseignait
alors la politique étrangère des États-Unis mettant l'accent sur le
mélange d'exceptionnalisme et d'optimisme qui faisait la force de
l'Amérique.
Assistons-nous à la fin de l'exceptionnalisme
américain ? Ou vient-il de prendre un détour étrange, mais somme toute
logique, dans le contexte de rejets multiples qui s'expriment dans
l'Amérique de 2016 ? Rejet de la mondialisation, des institutions, des
élites, enfin des autres, de tous ceux qui sont différents, par une
classe moyenne blanche, doublement obsédé par le déclin de l'Amérique
dans le monde et celui de l'homme blanc en Amérique. Face à ce double
sentiment de perte de contrôle, qui a déjà contribué à l'élection de
Ronald Reagan - un homme infiniment plus raisonnable que Trump - en
1980, l'Amérique vient de réagir : avec force pour les uns, avec excès
pour les autres. Elle l'a fait sur un mode qui n'aurait pas dû nous
surprendre, si nous n'avions pas voulu jusqu'au bout fermer les yeux sur
une réalité à ce point dérangeante. Et je plaide bien sûr coupable,
dans ce "nous" auquel j'appartiens pleinement.
Nous avons refusé
de le voir, mais Donald Trump fait pleinement partie du mythe américain.
N'en est-il pas même l'expression directe ? L'homme solitaire, qui armé
de sa seule énergie, surgit de la plaine et fait face à tous ? En
réunissant autour d'elle un aéropage de "Peoples" Hillary Clinton lui
fournissait un argument supplémentaire et peut-être décisif. L'Américain
vrai, face aux élites "fausses".
En ce 9 novembre 2016, nous
sommes entrés dans un nouveau monde, et cette "nouveauté" a été saluée
comme il se doit par la Bourse de Moscou qui progresse, par Marine le
Pen qui se réjouit , et par le serveur du site d'immigration du Canada,
qui "explose" devant l'afflux des demandes de renseignements. Mais au
delà de ce catalogue à la Prévert des premières réactions à l'impensable
devenu réalité, quelles sont les conséquences possibles pour
l'équilibre du monde et pour l'avenir de la démocratie, des résultats
des élections présidentielles américaines ?
Beaucoup de
commentateurs veulent nous rassurer. "Ce n'est pas si grave, vous
verrez" disent-ils. Le Président des États-Unis a beaucoup moins de
pouvoir que son homologue français. Les Républicains "raisonnables" au
Sénat s'opposeront aux risques de dérive du nouveau Président. Et ce
dernier, est beaucoup plus sage qu'il n'y paraît. N'a-t-il pas fait
preuve de modération et d'un véritable esprit de conciliation dans son
premier discours de futur président des États-Unis ?
Tous ces
jugements ne me paraissent pas correspondre au caractère proprement
révolutionnaire de ce qui vient de se produire sous nos yeux ébahis et
incrédules.
Contrairement au slogan de campagne de Donald Trump
"Rendre l'Amérique plus grande à nouveau", on peut penser que la
victoire de Donald va approfondir et accélérer le déclin des États-Unis
dans le monde. De Beijing à Moscou, sans oublier Ankara, on se réjouit
de l'humiliation infligée par les électeurs à l'orgueilleuse mais
dysfonctionnelle démocratie américaine. Dans son ambition de redevenir
ce qu'elle était jusqu'à la fin du dix huitième siècle, la première
puissance mondiale, la Chine n'a-t-elle pas gagné une dizaine d'années,
grâce à la colère et au ressentiment du peuple américain ?
Si même
les États-Unis se rallient au mythe de l'homme fort et providentiel,
n'est-ce pas la preuve que Xi Jinping, Poutine et Erdogan sont dans le
vrai ? Et puis l'Amérique va enfin devoir arrêter de leur donner des
leçons de morale.
Si depuis mardi il y a de facto moins d'Amérique
dans le monde, n'y a t-il pas également plus de risques populistes ?
Jamais deux sans trois, dit-on. Après la victoire du BREXIT en
Grande-Bretagne, puis celle de Donald Trump aux États-Unis, comment ne
pas penser - les mêmes causes produisant les mêmes effets - que Marine
le Pen a des chances réelles d'arriver au pouvoir en France ? Les
Américains en faisant le choix de Donald Trump n'ont-ils pas ouvert la
voie aux Français ?
Il nous appartient de démontrer que nous sommes plus raisonnables. La victoire de Trump est pour nous un avertissement, le dernier sans doute.
Il nous appartient de démontrer que nous sommes plus raisonnables. La victoire de Trump est pour nous un avertissement, le dernier sans doute.