La victoire d’Emmanuel Macron ne constitue pas seulement un tremblement de terre politique national. Elle permet à la France et à l’Europe de montrer que la montée des populismes n’est pas inéluctable.
"Accepteriez-vous de nous donner un entretien si Marine le Pen était élue à la présidence de la République ?"
À deux reprises, des journalistes de la NPR (National Public Radio) une
radio américaine réputée pour son sérieux, m'ont appelé ce week-end.
Comme je leur répondais que je doutais fort que la présidente du Front
National l'emporte, ils perdaient tout intérêt.
Une bonne nouvelle n'est pas une nouvelle. Après que l'Amérique eut
fait le choix de Donald Trump, la France ne pouvait, à leurs yeux, faire
celui d'Emmanuel Macron. Ce serait trop injuste. La France allait
donner maintenant des leçons "d'intelligence et de maturité politique" aux États-Unis ! Il y avait dans le propos des journalistes qui me sollicitaient comme l'expression d'une "schadenfreude" (jubilation,
NDLR) évidente. L'Europe avait, avec le référendum britannique en
faveur du Brexit, précédé les États-Unis dans la voie du populisme. La
France ne pouvait brandir l'étendard de la révolte contre le populisme,
et ce surtout pas après l'élection de Donald Trump. Ce n'était pas un
inconnu de moins de quarante ans qui allait interrompre ce cycle
irrésistible de la désagrégation du système démocratique.
Et pourtant, à la minute même de l'annonce des résultats de
l'élection, de Berlin à Washington, de Rome à Moscou, sans oublier
Londres, me parvenaient des témoignages multiples d'amis proches, qui
ouvraient une bouteille de champagne, et chantaient "La Marseillaise"
pour communier avec moi. Leurs propos tenaient trois mots exprimés en
français avec des accents très différents "Vive la France". Dans l'un
des pays d'Europe les plus affectés par le terrorisme et les
conséquences économiques et sociales de la crise, le candidat de
l'espoir venait de l'emporter, et ce largement, sur la candidate de la
colère, du ressentiment et de la peur.
Une déception pour Poutine
Comment comprendre et ainsi expliquer au monde ce qui vient de se
passer en France ? La formule célèbre de Michel de Montaigne pour
décrire son amitié avec La Boétie : "parce que c'était lui, parce que c'était moi" me vient naturellement à l'esprit. "Parce que c'était lui (Macron), parce que c'était elle (Le Pen)"
constitue sans doute l'explication la plus concise de ce qui vient de
se produire : la rencontre entre un homme exceptionnel et une femme qui
non seulement ne l'est pas, mais qui pour un mélange de raisons
politiques et peut-être psychanalytiques a choisi de se présenter lors
du dernier débat entre les deux candidats comme l'héritière directe de
son père et non l'incarnation d'un Front National nouveau et en quelque
sorte dédiabolisé.
La victoire d'Emmanuel Macron ne constitue pas seulement l'équivalent
d'un tremblement de terre politique national, elle transforme l'image
de la France en Europe et sans doute aussi celle de l'Europe dans le
monde. Ainsi contrairement à ce que prétendait la Russie de Poutine, le
vieux continent n'est pas en pleine décadence, il donne encore des
signes de vie. À l'affirmation sans nuance du cynisme et de la force,
dans ce qu'elle peut avoir de plus noir, Emmanuel Macron réplique en
célébrant sa victoire au son de "l'Hymne à la joie" de Beethoven, devenu
l'hymne européen.
Si la victoire d'Emmanuel Macron est incontestablement une source de
déception pour la Russie de Poutine qui souhaite une Europe divisée et
faible, elle est aussi une source d'interrogation pour la
Grande-Bretagne de Theresa May. Elle voulait par des élections
anticipées "renforcer sa main" dans son processus de négociation avec
l'Union. Soudain, avec l'élection d'Emmanuel Macron en France, elle voit
se reconstituer un axe Franco-Allemand, potentiellement plus solide
parce que beaucoup plus équilibré. Le pays de Winston Churchill ne
pouvait souhaiter la victoire de l'héritière, même indirecte, des
nostalgiques du régime de Vichy en France. Mais les partisans du Brexit
se demandent avec inquiétude si la victoire du candidat le plus
pro-européen, ne contribue pas à les isoler davantage.
En Allemagne et en Italie, l'effet inverse se fait ressentir, avec
les débuts d'une "Macromania" qui ringardise l'extrême droite de l'AFD
(l'Alternative pour l'Allemagne) et fait repousser des ailes au
Centre-Gauche de Matteo Renzi. Plus généralement c'est l'Europe entière,
à l'exception peut être de la Hongrie et de la Pologne, provisoirement
aux mains des populismes, qui se trouve ragaillardie par le résultat des
urnes en France. Il est donc possible par un mélange d'énergie, de
jeunesse, d'optimisme et d'espoir, le tout porté par une pédagogie
claire et exigeante, de faire campagne sur des enjeux européens et de
l'emporter.
L'Amérique entre satisfaction et dépit
Aux États-Unis, l'Amérique qui a voté contre Donald Trump est
partagée entre la satisfaction et le dépit : si seulement nous avions eu
un Emmanuel Macron et pas une Hillary Clinton pour faire face à Donald
Trump, ce dernier ne serait pas aujourd'hui à la Maison Blanche !
L'Amérique qui a voté pour Trump, pour peu qu'elle accorde la moindre
attention aux évènements de France est partagée entre la surprise et
l'hésitation. Sur un plan idéologique, ce n'est certes pas une bonne
nouvelle, mais sur un plan géopolitique, la victoire d'Emmanuel Macron
renforce le pilier européen de l'OTAN et donc bénéficie au monde
occidental dans son ensemble. Donald Trump le pragmatique, contrairement
à certains de ses soutiens d'extrême-droite, ne peut que s'en réjouir.
À Pékin, à l'inverse de Moscou, on voit d'un bon œil les résultats
des élections françaises. Les Chinois n'aiment pas l'incertitude,
surtout pas celle des marchés.
2017 entrera peut-être dans l'histoire comme "l'année de la France"
surtout si les Français conscients qu'ils sont au cœur des
préoccupations, des craintes et des espoirs du monde, donnent à leur
nouveau président les cartes dont il a besoin pour réformer en
profondeur le pays, c'est à dire une majorité aux prochaines élections
législatives. Ce qui est en jeu, ce n'est pas l'avenir de telle ou telle
famille politique, c'est celui de notre pays et au-delà celui de
l'Europe dans le monde.